Rencontre d’une psychologue, Pauline MARIN, avec la recherche : l’étude sur les chiens d’éveil pour enfants aveugles
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Une étude en cours tente de démontrer l’intérêt des chiens d’éveil aux côtés de très jeunes enfants déficients visuels.
Une psychologue impliquée dans cette recherche nous parle de son action. Nous vous faisons découvrir cette initiative qui est une première, en France et au-delà, par un double portrait !
En premier lieu en découvrant Pauline Marin qui est psychologue et a rejoint ce projet de recherche –action, puis, à suivre, par la présentation d’une famille participante de l’étude
DES CHIENS D’EVEIL POUR LES TOUT PETITS
Pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Il existe des études sur les apports d’un chien auprès d’enfants tout venants, ou auprès d’enfants TSA Troubles du Spectre Autistique
Pour la personne Déficiente Visuelle, le chien s’adresse principalement aux adolescents et aux adultes, en tant que guide pour les déplacements… rien pour les jeunes enfants.
Par cette étude, on découvre la notion de chiens d’éveil, affiliée aujourd’hui à des chiens d’assistance…
Pauline, tu es psychologue et tu as plusieurs types d’interventions, peux-tu nous en parler ?
Je suis psychologue depuis 2015 : j’ai un diplôme de master en psychologie de la santé de l’Université de Lyon II, avec un parcours plus particulièrement orienté sur le Handicap. Mon activité professionnelle se divise depuis ma sortie de l’université entre un métier de psychologue clinicienne en institution sur une partie de la semaine, et un métier d’ingénieur de recherche le reste du temps. En lien avec ma formation initiale je suis toujours psychologue avant tout, quel que soit le moment de la semaine, mais ce métier se décline pour moi de bien des façons au quotidien !
Je suis donc ingénieure de recherche depuis 2015 : en effet, la recherche sur l’apport des chiens d’éveil a commencé immédiatement pour moi après mon master. Cette recherche arrive à moi via l’Université grâce à l’enseignante chercheur Anna Rita Galiano, directrice du laboratoire DIPHE, que je connaissais car elle avait encadré mon travail de mémoire. Un jour en 2015, elle s’adresse à notre promotion : elle a besoin de candidats pour coordonner sa future recherche relative à l’apport des chiens d’éveil auprès des jeunes enfants aveugles. Je saisis l’opportunité de cette offre atypique à pourvoir immédiatement. Ma candidature est retenue comme une évidence de rencontre et de confiance.
Quel est l’origine du projet ?
Dès le départ, cette recherche commence par des rencontres fortes. Historiquement ce sont donc quatre institutions qui se sont mises en lien pour donner naissance à ce projet : deux écoles de chien-guide, en France et au Canada, une association autour de la déficience visuelle, et l’université Lyon II.
Ces quatre structures[i] constatent que jusqu’alors on ne remet des chiens guides à des jeunes qu’à partir de 12 ans, donc à des jeunes qui ont déjà acquis une certaine autonomie en locomotion notamment. Elles font ensemble l’hypothèse que tous les autres apports du chien pourraient être mis en place plus tôt dans la vie et le développement des enfants déficients visuels et ainsi d’influencer favorablement les apprentissages : moteurs, sociaux et langagiers… L’étude consiste donc à proposer un chien d’éveil aux enfants à partir de l’âge de deux ans et évaluer l’impact de ces apports comparativement à un autre groupe d’enfants déficients visuels du même âge qui n’auraient pas de chien d’éveil.
Qu’est-ce qu’un chien d’éveil ?
Dans le cadre de notre étude, c’est un chien éduqué par des éducateurs de la Fondation Frédéric Gaillanne. Ce ne sont pas des « chiens guide » car ils ne sont pas éduqués pour la locomotion : leurs apprentissages sont orientés vers des compétences et une série d’ordres utiles pour favoriser l’éveil de l’enfant. Le but est que le chien soit un support d’interactions et d’ouverture pour l’enfant : une ouverture relationnelle, langagière, sociale affective et psychomotrice.
Peux-tu nous parler du rôle de l’ingénieur dans cette recherche et nous en décrire les grandes lignes ?
Sur cette recherche action, je m’amuse à me définir comme un « agent de terrain », un agent aux missions variées : j’ai commencé par aider à la finalisation du protocole de recherche. Ensuite, il a fallu trouver, contacter et rencontrer des familles, remettre des chiens, assurer le suivi de l’ensemble des familles, recueillir des données, rédiger des rapports…
Pour trouver les familles, fin 2015, nous avons procédé à un premier appel à candidature auprès des institutions françaises travaillant auprès des enfants D.V. mais également sur les réseaux sociaux. Ceux sont ces derniers qui ont favorisé la rencontre avec le plus grand nombre de familles volontaires. Les familles ont ensuite été sélectionnées en fonctions de critères médicaux précis (ophtalmologiques notamment). Il fallait aussi veiller à ce que la famille n’ait pas déjà un chien à la maison pour ne pas biaiser l’étude. Puis, début 2016, sur la base du souhait formulé par les familles, nous constituons nos deux groupes : un groupe « étude » (avec la remise d’un chien d’éveil) et groupe « témoin » (sans chien)
Une première rencontre est ensuite organisée au domicile de chacune des familles en septembre 2016 pour procéder à une première évaluation globale du développement de l’enfant comme point de départ de l’observation avant l’arrivée du chien. Toutes les familles sont rencontrées (groupe étude et groupe témoin), elles sont réparties dans toute la France. A l’issue de la réalisation de ce premier « Tour de France », le suivi commence ! Il se compose pour chaque famille, d’une visite à domicile tous les 6 mois sur deux années pour évaluer les progrès de l’enfant et pour faire un point global avec les parents sur le vécu au domicile. A cela s’ajoute la réalisation mensuelle à leur domicile d’une série de vidéos, ainsi que plusieurs questionnaires à renseigner.
Pour les familles du groupe « étude », le début du suivi est également marqué en septembre 2016 par la remise des 4 premiers chiens du projet. Pour cela, nous nous retrouvons tous, pendant une semaine, dans les locaux de la Fondation Frédéric Gaillanne à l’Isle sur la Sorgue (84) à côté d’Avignon. Lors de la remise du chien nous « vivons tous ensemble » (les 4 familles et l’équipe) à l’Ecole de chiens guides : les parents et l’enfant se déplacent à L’Isle sur La Sorgue.
Comment se passe la rencontre entre l’enfant et son chien d’éveil ?
Cette première rencontre entre le chien, le parent et l’enfant (qui est filmée par l’équipe de recherche) est très spéciale : elle a été attendue et imaginée ; on observe souvent une excitation de la part des parents. Il y a beaucoup d’émotions (plus évidentes hors caméra) mais dans tous les cas, c’est une sorte de moment « hors temps ». Certaines rencontres étaient évidentes et d’autres inattendues, l’enfant montrant de la curiosité, parfois de l’indifférence ou de l’excitation … Parfois, après un premier contact timide, la « rencontre » se faisait au bout de quelques jours, progressivement. Nous avions préalablement pressenti que certains chiens pourraient constituer un binôme qui fonctionne avec tel enfant, en fonction des tempéraments, du mode de vie de la famille... Il faut insister sur ce point : il s’agit du chien de la famille même s’il est pour l’enfant (ce qui est à distinguer du chien guide, lequel fait équipe avec son maître uniquement).
Après ce premier temps, le reste de la semaine, la famille vit avec l’animal, on sort de la salle d’observation, et le chien vit avec eux ses « premières fois ». Les partages donnaient l’impression d’une ambiance de colonie de vacance avec des veillées et des gags : au petit déjeuner les constats sur le fait qu’un chien « ça peut ronfler » ! etc. L’émotion atteint tout le monde, les familles comme les professionnels. J’ai le sentiment d’être le témoin privilégié de rencontres déterminantes.
Et comment se sont passées les rencontres entre les familles ?
Les familles du groupe étude, qui se sont rencontrées cette semaine-là, ont « fait groupe », spontanément. Elles ont créé un groupe fermé sur un réseau social, en incluant aussi les familles témoins ainsi que les professionnels. Ils ont tous conscience de vivre une expérience commune (mais pas commune).
Les familles du « groupe témoin » se sont également rencontrées quelques mois plus tard à la Fondation Frédéric Gaillanne, ainsi que les enfants. Bien qu’ils aient fait le choix de ne pas accueillir de chien d’éveil, ces parents veulent apporter une pierre à l’édifice pour leur enfant et ceux à venir et ils le font savoir. Ils ne souhaitent pas avoir un chien mais ils veulent prendre part à la recherche. Comme les familles du groupe « étude », ils s’engagent à fournir des données régulièrement à propos de leur enfant et se rendent disponibles pour la visite tous les 6 mois.
Il y a lors de ce coup d’envoi de 2016, 10 enfants dont 4 ont un chien, puis nous constituerons un second groupe avec 5 familles supplémentaires deux ans plus tard, en 2018. 3 nouveaux chiens seront remis. Il se trouve que 2 d’entre-elles faisaient partie des familles-témoins sur la période 2016-2018, elles ont été conquises par l’expérience et ont demandé à poursuivre l’aventure en tant que famille avec chien ! Ce sont des familles pour qui ces deux années avaient permis de faire murir le projet autour du chien… pour finalement passer à l’action, et travailler deux ans de plus avec nous ! Quelle confiance !
Cette initiative, cette « recherche action » n’est pas passée inaperçue je suppose…
En effet on a commencé à parler de nous. Durant l’année 2017 notamment, il y eu des reportages nombreux et spontanés à la télé, les radios et dans la presse. Des gazettes locales aux journaux nationaux, de nombreuses personnes s’y sont intéressées et ont donné une visibilité à cette action, ce qui a renforcé le groupe. Il y a eu des tournages nombreux dans les familles, et auprès des professionnels.
Aujourd’hui où en est la recherche ?
Le recueil des données doit être terminé pour fin octobre 2020, et nous entrons dans la phase d’analyse. La durée du recueil des données a été importante et supérieure aux estimations de départ. Etant donné le faible nombre de participants, nous avons privilégié un suivi long pour chaque enfant, nous donnant une belle visibilité sur leurs évolutions. Aujourd’hui notre méthode doit se penser dans un approfondissement des observations de chaque enfant dans sa propre progression plutôt que dans une comparaison des enfants entre eux.
Concernant les apports du chien d’éveil, je ne peux parler à cette heure qu’en référence aux retours des parents : il y a un apport social phénoménal qui, par exemple s’illustre lors des déplacements avec les chiens. En effet les parents parlent d’une « bombe sociale », d’un « catalyseur » et, toujours d’après les parents les progrès langagiers seraient les plus évidents. Pour ces derniers, il ressort aussi l’impact des rencontres avec les autres familles : en effet se dégage un sentiment d’appartenance, de reconnaissance, avec l’importance d’avoir participé à quelque chose d’innovant. Il ressort aussi de leur part que cette recherche leur a donné l’occasion d’une observation approfondie de leur enfant faisant apparaître des détails, des progrès et une connaissance plus fine de leurs compétences.
Haudacity et inclusion ?
Audace : l’audace est présente à toutes les étapes du projet, c’est l’audace des 4 institutions impliquées. J’ai rejoint un projet profondément audacieux et innovant.
Inclusion : le projet entendu comme multiplication du lien social hors famille illustre ce mouvement
[i] Les quatre partenaires historiques du projet sont la Fondation Frédéric Gaillanne (la seule école de chiens guides pour enfants et adolescents en Europe), Mira Canada (qui en est la maison mère), l’Université Lyon II, laboratoire DIPHE et les PEP 69 (qui est une association d’accompagnement médico-social et d’aide à la scolarisation des enfants déficients visuels de 0 à 20 ans)