Laurent Vigliéno, militant défendeur du "droit des plus petits"
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Sa fierté- Mes enfants et mes petits-enfants… et la relation qu’on entretient !
- Le bonheur d’avoir participé à la réforme des lois de 1975 aboutissant à celles de 2002 et 2005, à la réforme du CAFDES (Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Directeur d’Etablissement ou de Service d’Intervention Sociale), de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) …
- D’avoir été l’un des artisans, parmi tant d’autres, de ces dossiers que j’avais à cœur. Plus récemment d’avoir participé au groupe de travail Sérafin qui réfléchit et fait des propositions pour les futures réformes des systèmes de financements dans le secteur médico-social. -
Jeune interne au lycée, Laurent met le pied dans la porte avant de la défoncer car l’injuste lui est insupportable : les « soi-disant plus grands » s’arrogent le droit abusif d’interdire l’accès au foyer des internes « aux petits ».
Le conseil de discipline ne le sanctionnera pas : Laurent découvre qu’il est possible de s’ériger contre l’injustice et de défendre le droit « des plus petits ». Devenu éducateur auprès d’adolescents délinquants, puis des personnes de la rue avant d’être directeur d’établissement spécialisé pour enfants et adolescents ayant une déficience sensorielle associée à d’autres formes de handicaps, Laurent Vigliéno sera (et est toujours) militant et engagé pour réfléchir, construire et garantir la reconnaissance et l’exercice des droits de tout un chacun. Ses fonctions l’amènent à intervenir au niveau national.
Son actualité de photographe (il est président d’une association photo) parallèlement à son engagement (administrateur) au sein de la FISAF, s’inscrit dans cette logique : être un révélateur de qualités et de possibilités en restant discret, derrière l’outil qu’il aide à façonner. Nous avons envie d’ajouter que ses amis sont fiers de lui car il invente des choses, des façons d’être, notamment cette façon habile et efficace d’être présent, engagé, d’entrer dans les dispositifs, les sphères et là, dans cette « marge » qui donne à la page une direction et un sens, un repère, il a appris à écouter et agir...
Interview réalisée par Pascal Bogaert le 12 octobre 2019
Portrait avec différents éclairages - Récurrent : militantisme.
Son parcours dans le monde du handicap et de l’exclusion
Handicap sensoriel, moteur, physique, social, sensoriel… à un moment ou un autre de ta vie tu t’y es intéressé, peux-tu nous en parler ?
J’étais professionnel dans le secteur du handicap, selon la définition de 2005, plus particulièrement auprès de personnes avec des déficiences sensorielles ou des troubles sévères du langage. J’ai commencé comme éducateur de rue, éducateur spécialisé, puis cadre de direction et enfin directeur d’établissement sanitaire et médicosocial.
Dès mes débuts je me suis engagé dans un syndicalisme de projet.
J’ai parallèlement milité professionnellement dans une association qui appréhende la question de la personne (dans sa « globalité » et quelle que soit sa situation de handicap) ainsi que la préoccupation de la formation diplômante des professionnels (qu’elle que soit la fonction). Il s’agit d’une association professionnelle de directeurs et, en même temps, une fédération d’établissements et de services d’inclusion de personnes avec déficit sensoriel, Dys* et handicaps associés.
Les conditions de travail étaient relativement satisfaisantes, je préférais mettre mon énergie dans les projets, nous avons été en quelque sorte des précurseurs sur les projets d’établissements.
J’ai aussi été militant hors de ma situation professionnelle dans le milieu associatif.
La période à laquelle je fais référence se situe de 1978 à 1984. Quand j’ai été sollicité pour devenir cadre de direction (j’étais en responsabilité d’une équipe pluridisciplinaire) j’ai continué à travailler dans ce sens, en étant syndiqué.
J’ai travaillé toute ma carrière avec les enfants, et en fin de carrière, également, avec des adultes.
C’était un choix, je pensais qu’il y avait plus à faire auprès des jeunes de 0 à 20 ans pour les aider au maximum pour leur future vie d’adulte. Ceci est à mettre en relation avec l’expérience précédente : de 74 à 78 j’avais travaillé avec des « exclus » en tant qu’éducateur de rue et autres clubs de prévention comme on disait à l’époque. L’employeur était une association locale qui permettait l’action des travailleurs sociaux.
J’avais démarré mon activité professionnelle auprès de délinquants ayant comme trait commun le fait d’avoir connu la prison, des adolescents de 14 à 21 ans qui étaient dans un établissement appelé alors « centre d’observation pour délinquants ».
La formation d’éducateur spécialisé est venue après. J’ai alors pu être éducateur de rue puis éducateur à domicile dans un quartier toulousain. Mon expérience se complète alors au Québec : dans un quartier difficile de type ZEP (zone d’éducation prioritaire) avant de revenir fin 1977 avec un poste dans un établissement pour personnes handicapées moteur et sensorielles.
Ma préoccupation a été de développer les initiatives à partir des observations sur le terrain, des réflexions avec d’autres personnes à partir de besoins réels, plutôt que de partir d’une nomenclature imposée.
Si la Loi de 75 prévoyait des « projets d’établissements », c’était sans un caractère obligatoire ni une définition de « comment ». L’approche syndicale avait donc pour but de susciter cette démarche de la part l’employeur pour mieux accompagner les personnes qui leur étaient confiées.
Il s’agit aussi de ne pas s’enfermer dans le confort d’une routine, ça fait régresser…
Est-ce que les enfants, les parents, étaient inclus dans cette démarche ?
Non, uniquement les salariés et la direction d’établissement. On n’en était pas à la participation des personnes dans les projets d’établissement et les projets personnels... cela est apparu grâce aux travaux préliminaires à une loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui met la personne « au centre du dispositif et du projet ». L’association professionnelle où j’intervenais a pu être partenaire dans la révision de la Loi de 75 et a participé à en poser les bases. Les hauts fonctionnaires qui préparent les dossiers pour les élus, efficaces dans leur travail, ne connaissent pas pour autant le terrain, il était important d’y être. Par la suite, la Loi du 11 février 2005 a reconnu l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Parallèlement la professionnalisation du secteur était une préoccupation permanente, cela a permis que les personnes soient qualifiées pour l’emploi occupé, directeurs d’établissement ou autres.
On peut préciser ici que notre association professionnelle était la seule à vouloir cela dans les travaux préparatoires, aussi il a fallu proposer à différentes parties prenantes autour de la table de créer un collectif pour que ça fasse parti des revendications. Tous vont alors soutenir l’inscription de cette « condition » dans la loi de 2002. L’obligation de la qualification pour les Directeurs renvoie à un décret pris en 2007, fruit d’un combat mené de 2002 à 2007.
Nous précisons que, durant ces années Laurent Vigliéno a été intervenant (ce qu’il appelle « faire des dépannages ») : il s’agit d’interventions de formation sur des sujets donnés à des moments donnés… A l’Ecole de Rennes, il a été jury sur le diplôme du CAFDES et a œuvré à la mise au point de la VAE de ce Certificats d’Aptitudes aux Fonctions de Directeur d’Etablissement et Service Médico-Social. Ici encore la préoccupation consiste à prendre en compte les compétences et pas uniquement les connaissances dans l’évaluation des candidats issus d’autres secteurs. Expérience très riche et intéressante où j’ai beaucoup appris, précise-t-il…
Révolution en 2002, et aujourd’hui, une autre révolution ?
Oui, effectivement, cela m’apparaît comme une nouvelle révolution possible en ce moment. Lors de mes rencontres avec des personnes travaillant dans le secteur je constate un manque d’information important sur l’évolution possible et en cours, un manque de visibilité de vers où va le secteur médico-social.
Les choses ne seront plus comme avant : à partir du Rapport Piveteau évoquant le " Zéro sans solution " (1) sur la situation du secteur et, plus particulièrement la question de l’inclusion, d’une réponse accompagnée pour tout un chacun, de la transformation de l’offre sociale et médicosociale, plusieurs chantiers sont ouverts en parallèle depuis plusieurs années...
Un des plus anciens est le chantier Sérafin P. H. sur la tarification qui a démarré en 2014, il s’agit d’appréhender les écarts très différents de tarifications entre des structures pouvant paraître identiques mais dont les financements sont très différents, les tarifications allant de 1 à 3. Le coût moyen était retenu, ce qui s’avère injuste.
Nous n’avions aucune clé pour savoir si ces écarts étaient fondés ou pas et sur quoi ? Un travail préalable a consisté à réfléchir et réaliser un langage commun. Ce travail permet de recenser les besoins de la personne accompagnée et d’identifier les prestations apportées. Testées auprès d’établissements volontaires, ces nomenclatures semblent, d’après les retours, qu’en terme de management de projet ça a été intéressant dans ces structures.
Actuellement un rapport, qui a été remis récemment à la secrétaire d’Etat, vise à aider à la décision quant au modèle de tarification adéquat. Il peut s’agir d’une nouvelle révolution : 3 hypothèses formulées :
- Solvabilité de la personne accompagnée : la personne aurait « un droit de tirage » en prestation qu’elle choisirait auprès de différents opérateurs
- Tarifer les établissements uniquement mais d’une façon différente d’aujourd’hui, en partant des besoins de la personne. Ce faisant, le financement serait « à la carte » et donné à l’établissement en fonction des personnes réellement accueillies et des prestations mises en place.
- Une combinaison des deux précédentes : un financement socle à l’établissement sur certaines prestations associé à un « droit de tirage » pour la personne (pour des prestations en fonction de ses besoins). Elle pourrait les mettre en œuvre au sein d’un établissement, d’un service ou auprès d’un prestataire restant à définir.
Jusqu’à présent les ESMS ** sont financés dans le cadre de CPOM *** sur la base d’un « coût moyen à la place » qui maintient les inégalités entre structures.
Le premier scénario porte un risque « d’ubérisation du social et médico-social » et ne peut s’adresser qu’à des personnes aptes à s’y repérer (autonomes).
Ces travaux, pour ma part, se réalisent dans le cadre de la FISAF (Fédération Nationale pour l’inclusion des Personnes en Situation de Handicaps Sensoriels et Dys.) en France, où je suis administrateur.
C’est aussi dans ce cadre que j’ai participé à la mise en place d’une plateforme à destination des professionnels pour tout ce qui touche au handicap sensoriel, Dys avec ou sans handicaps associés.
Le photographe
Militant, tu l'es aussi via la photo, tu soutiens des projets photographiques et associatifs autour de la photo…
En effet je soutiens « Poussières d’images » une association toulousaine qui organise des ateliers pour adultes voulant pratiquer la photographie. Il y a des personnes en situation de handicap, mais pas que…
L’association a, par exemple, développé l’action « Reportages » : issues de milieux sportif, culturel etc… nous avons reçu des demandes de reportage photographiques tandis qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer un photographe professionnel pour couvrir des événements. Nous avons procédé à un troc : des offres d’accréditations à l’événement en échange des photos prises par de membres de l’association. Ces photos sont hors usage commercial, exclusivement. Ces événements, difficiles à « couvrir », permettent aux photographes d’avancer dans leurs compétences en photo.
L’association est sollicitée régulièrement par le secteur social et médico-social pour des groupes ayant un projet en lien avec la photographie. Par exemple un établissement pour adultes handicapés a monté une exposition de sculptures et de peintures façon « Picasso ». On a accepté de mettre en scène ce travail, ensemble. Cette exposition a eu un caractère très valorisant pour les résidents, leurs familles et l’encadrement. Je suis président de cette association depuis trois ans, il va de soi que des demandes venant de ce secteur augmentent... Cette année on a réalisé un travail photographique et relationnel avec des adultes « anciens exclus » (cf. la Maison Goudouli) mais aussi un partenariat avec la ligue nationale contre le cancer pour laquelle on a couvert les événements…
Avec une autre association la « Bénévolante » (qui accompagne des jeunes pour les aider à construire un projet personnel et professionnel dans le monde de la culture, dont celui de la photo), nous avons réalisé un accompagnement sur des visites d’expositions photographiques et dans la prise en compte de leur ressenti, pour les amener à « sortir du smartphone et enfin, travailler la prise de vue en studio dans des conditions professionnelles…
Laurent Vigliéno génère des rencontres.
Pourquoi ce militantisme ?
Essayer d’être vraiment à l’écoute des personnes et essayer de leur permettre d’atteindre ce dont elles ont envie.
J’ai pu être « dogmatique », en début de carrière, et je me rends compte qu’en fait il faut vraiment écouter la personne. Je peux illustrer ce propos en prenant l’exemple de cet enfant lourdement handicapé pour lequel la demande des parents de lui apprendre le Braille me paraissait non envisageable. Ce qui « techniquement » était vrai, mais pas pertinent. J’ai laissé entendre que c’était impossible pour me rendre compte après coup qu’il était mieux que ce soit l’enfant et la famille qui s’en rendent compte eux-mêmes.
Souvent ce sont les familles et les enfants qui ont fait avancer les choses.
Logique de trajectoire
Gamin, j’avais envie de faire plusieurs choses, mais j’étais « un gros fainéant » et ce que je voulais faire m’obligeait à travailler sur le plan scolaire, ce que je n’avais pas envie de faire…
J’ai eu la chance de faire des colos (avec des enfants et des adolescents), c’est de là qu’est apparue l’idée de travailler avec des enfants et, en cherchant, j’ai découvert le métier d’éduc et me suis lancé là-dedans.
Pour moi l’injustice est insupportable, depuis très jeune … voici une anecdote qui illustre cela. Je suis alors interne en 6ème. Dans les premières semaines, j’ai voulu aller au foyer des internes entre midi et deux après le repas, mais « des grands » -pas forcément internes qui plus est- y étaient et s’y opposent avec un « dégage petit » et la force du nombre. Parfaitement injuste, cette situation m‘a été insupportable, j’ai résisté et mis un coup de pied dans la porte, de rage, et l’ai défoncée... Convoqué par la direction j’ai été écouté mais pas sanctionné : la démarche avait été comprise et on m’a donné raison après avoir écouté toutes les parties. J’ai beaucoup apprécié cette reconnaissance, cette prise en compte de ma parole : on m’avait écouté.
Oui, je suis intéressé à essayer de tendre à une égalité des chances, à la justice… L’injustice génère la souffrance. L’exclusion est une arme.
Le secteur médico-social a beaucoup évolué, j’ai pu participer à ces aventures et quelque fois apporter des éléments de terrain…
Dans ce métier, si on est uniquement en position de respect et d’attente, on ne fait rien : je fais avancer les choses car je cherche les marges de manœuvre et me mets parfois hors la loi en conscience, je prends mes responsabilités… en connaissance de cause. Il m’est par exemple arrivé de procéder à la protection de tel ou tel enfant après un signalement en le gardant à l’internat et en mettant en place un accueil pour les week-ends : si le procureur devait ne pas être d’accord, il pouvait s’y opposer, mais le dispositif était mis en place sans avoir attendu son assentiment… ce qui n’était pas la « procédure à suivre ». Jamais eu de regret sur ce genre d’initiatives…
Notes
*Dys : « dysphasiques » ou Dysphasies
**ESMS : Etablissements et Services Médico- Sociaux
***CPOM : Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens