Etienne et Camille, famille d’accueil d’Oasis, futur chien guide
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Interview d’Etienne et Camille, alors parents de deux enfants de 2 et 4 ans, sont devenus famille d ‘accueil d’un futur chien guide, entre décembre 2018 et août 2020.
Comment est venue l’idée de devenir famille d’accueil ?
« Cela s’est fait presque par hasard. Durant l’été 2018, nous avons emmené nos deux enfants à Toulouse plages. L'association Chiens Guides Grand Sud Ouest y faisait une démonstration ; on y est allés avec les enfants pour « voir les chiens ». Il y avait là plusieurs chiots en famille d’accueil, tous avaient entre 2 et 12 mois…
Je connaissais l’existence des chiens guides, mais je ne m’étais jamais posé la question du « comment ça marche » pour les éduquer. Au fil des minutes, j’ai commencé à poser des questions. « Nous habitons en appartement, est-ce un problème ? », « Chacun d’entre nous a un travail de bureau, est-ce possible quand même ? »
Au fil des réponses, j’ai commencé à me dire « après tout, pourquoi ne deviendrions-nous pas famille d’accueil pour un futur chien guide ? » En effet, ce que je pensais être des points bloquants était vu au contraire par l’éducatrice qui me répondait, comme des points qui pourraient faciliter l’adaptabilité du chiot : il allait voir beaucoup de monde, allait vite apprendre à être patient. »
Etienne avait déjà eu des chiens étant jeune, Camille cherchait à donner davantage de sens à ses actions et avait déjà une sensibilité par rapport au handicap.
« Pour plein de raisons personnelles, cette démarche semblait se présenter au bon moment pour nous. »
La question de savoir comment cela serait vécu par les enfants demeurait.
« Nous avons finalement pris notre décision, et fait le nécessaire auprès de nos employeurs respectifs pour obtenir leur accord, car même s’il n’est pas nécessaire (ils n’ont pas légalement le droit de refuser) c’est quand même préférable de le faire en bonne entente.
A l’automne, nous avons été « famille relais » à deux reprises avec deux chiens différents, et dès le 11 décembre, nous entamions une nouvelle aventure avec l’arrivée d’une petite chienne labrador couleur sable, Oasis.
Nous l’avons récupérée le 11, et le 12 au matin elle était avec moi au bureau, elle avait 2 mois et une semaine ! »
Ce n’est pas une décision prise à la légère, quelles questions vous êtes-vous posées ?
« Hormis les questions pratiques liées à nos conditions de vie (bureau, transport en commun plusieurs fois par jour, vie en appartement…) nous nous sommes surtout demandé comment cela serait vécu par les enfants, surtout la séparation en fin d’éducation…
Et au boulot, comment cela va-t-il se passer ?
Nous nous sommes aussi demandé si nous aurions des relations avec la personne que notre chienne allait aider. Pour ne pas être déçus, nous avons décidé de partir du principe que nous n’aurions pas de relation particulière, soit que la personne habiterait loin, ou qu’elle ne le souhaiterait pas… ou pour tout autre raison.
Camille « j’ai voulu essayer de garder des distances sur le plan de l’implication affective, mais autant vous le dire tout de suite, ça n’a pas marché ! »
Comment avez-vous expliqué la démarche aux enfants, notamment le fait qu’ils allaient un jour devoir laisser partir le chien ?
« Nous leur avons expliqué que notre famille allait devenir la famille nounou d’un petit chien. Ensuite, le chien irait à l’école puis, après, le chien quitterait l’école pour aller faire son métier.
Nos enfants avaient eu une nounou, le grand était à présent à l’école. Il avait alors 4 ans, lui, a compris, la petite à 2 ans, c’est moins sûr…
On l’a expliqué, dit, redit, rabâché, chaque fois que l’occasion se présentait ou dès qu’on sentait un peu trop d’émotion de leur part. Peut être qu’on a été un peu lourdingues avec ça, mais bon … »
Camille a cherché partout des livres qui pourraient expliquer à de si jeunes enfants, ce qu’est un chien guide, comment ça allait se passer, etc. Elle n’en a trouvé qu’un, écrit par une maîtresse de chien guide, déficiente visuelle, et illustré par une illustratrice professionnelle : Le drôle de métier du chien Atchoum. et la suite La nouvelle vie du chien atchoum
« J’ai contacté l’illustratrice, elle a été super, elle nous a envoyé un exemplaire dédicacé et avec un dessin d’Oasis, des deux enfants, et d’Atchoum… Le livre est simple, efficace, et ils demandaient régulièrement de le lire. A la fin, la famille pleure, mais c’est normal. »
Et finalement, comment s’est passée la séparation ?
2020 est pour nous une année particulière. D’abord, avec le confinement pour cause de Covid. Comme on était en appartement, on a préféré confier Oasis à une famille relais qui vit à la campagne avec qui on avait sympathisé, donc, on n’a pas beaucoup vu Oasis à partir du mois de mars. En plus, il se trouve qu’on quitte Toulouse cet été, donc, on a dû préparer le déménagement, la recherche d’un logement etc… Pour les enfants, ça sera plus simple : Oasis c’est une histoire qui reste à Toulouse, là, ils sont en vacances chez leurs grands-parents, ensuite ils iront directement dans leur nouvel appartement, ce sera une autre vie.
C’était important qu’ils puissent rencontrer la personne qui aurait Oasis, comme cela a pu se faire : important pour eux, et plus facile pour nous de parler de la nouvelle vie d’Oasis.
Mais revenons en arrière, comment se sont passés ces 20 mois ?
« A l’arrivée d’Oasis, notre fille cadette était ravie car elle est très attirée par les chiens. L’aîné avait peur des gros chiens, mais même lorsqu’elle était chiot il en avait peur car elle était vive. Vers 6 mois elle a commencé à se calmer, il s’est alors senti plus en confiance.
L’expérience a été bénéfique pour toute la famille.
Tout s’est passé comme l’école nous l’avait présenté, du début à la fin.
Le chien guide est une sorte d’aimant, les gens viennent vers vous plus facilement, sourient quand ils vous croisent dans les couloirs au bureau… c’est agréable !
Du coup, beaucoup nous posent des questions sur les chiens guides. A l’école des enfants, Camille est venue lire le livre Atchoum dans leur classe ; la chienne était là tous les soirs à la sortie de l’école pour attendre les enfants, alors ça participe à la sensibilisation de tous.
On l’emmenait partout. Le samedi, elle venait avec nous au musée avec les enfants, au parc, elle prenait les transports en commun 4 fois par jour et ça au bout de 15 jours, elle a été mise dans le bain très vite, beaucoup plus vite qu’un autre chiot.
Au bureau, elle venait régulièrement avec moi dans les halls d’essais. Elle avait tout juste 5 mois lorsque j’ai dû partir un peu plus de 2 semaines en formation sur la base aérienne de Mont-de-Marsan. L’école nous avait bien dit qu’en cas de soucis la chienne pouvait être confiée quelques temps à une famille relais, mais je sentais que c’était faisable. Elle était petite mais je le sentais. Sur la base aérienne, tout le monde était prévenu que « Oasis » allait arriver. On m’a même donné la chambre PMR de l’hébergement qui était disponible, pour qu’elle ait plus de place ! Je passais la journée en cours, mais à chaque pause je la sortais. Sur la base, on a même fait une visite autour des avions, on a donc une photo d’Oasis posant devant un Rafale.
Je l’emmenais partout. On n’a eu qu’un seul refus d’accès, dans un magasin de chaussures. On a eu beau montrer l’ordonnance de 2014 qui stipule que les élèves chiens guides ont les mêmes droits d’accès que les chiens guides, ça a été très compliqué. »
Camille n’avait jamais eu de chien. « Cette expérience a été très intéressante mais cela m’a aussi permis de comprendre qu’avec un chien normal (sans les droits d’accès du chien guide) cela n’aurait pas été possible pour nous. »
Quel a été votre rôle dans la formation d’Oasis ?
« Notre rôle premier était d’en faire un bon chien de compagnie ++. Il fallait que ce soit un chien « bien dans sa tête ». Nous devions lui faire voir le plus de situations possibles, pour sa future vie, mais aussi pour nous, pour qu’elle soit adaptable et que ce soit facile de l’emmener partout.
Nous devions lui apporter de la sécurité affective, un cadre, et s’y tenir, lui donner les armes pour la suite… c’est un peu comme pour les enfants, mais avec le chien, ça va plus vite, il y a aussi un peu moins d’enjeu… mais il y a quand même de sacré parallèles !
On a fait ça le plus sérieusement possible. »
Quels ont été vos relations avec son éducateur ?
« Nos relations avec l’école passaient toutes par Guillaume, c’était notre référent… et notre « hotline » en cas de soucis !
Nous avions des rencontres régulières, au début toutes les semaines, puis 2 semaines, puis cela s’est espacé car tout se passait bien. Entre deux suivis, on notait toutes nos questions, puis on déroulait notre liste lors du rendez-vous et Guillaume répondait à chacune.
De son côté, il tenait un livret de suivi d’Oasis, une page par rendez-vous. Cela lui permettait de noter les progrès de la chienne et les points restant à travailler. Il nous expliquait comment nous y prendre, et nous donnait les consignes pour le mois suivant et des conseils.
Ce qui était bien c’est qu’il mettait ses conseils et consignes en perspective, en nous expliquant en quoi c’était important par rapport au handicap visuel du futur maître d’Oasis. »
Que vous a apporté cette expérience ?
« Des rencontres humaines, un autre monde… des rencontres avec des gens autour de valeurs partagées…
Ça restera une étape marquante dans notre vie, c’est peu commun, et on peut dire que, c’est une fierté. Au bureau, il y a des gens que je côtoyais peu car nous n’avions pas le même métier, et là, la relation a changé, le regard a changé. J’étais content de leur parler de cette expérience. Être famille d’accueil, c’est gratifiant, on est un peu ambassadeurs des chiens guides, c’est cool…
C’est quelque chose de marquant également d’un point de vue découverte. On a appris des choses sur les méthodes éducatives, la psychologie du chien, etc. On a aussi appris des choses sur la déficience visuelle, à travers Guillaume. Il en parlait d’un point de vue éducation du chien, nous montrait surtout les limites liées au handicap lors de ses « mises en perspective ». A l’association des chiens guides, tout est très cloisonné et on n’a pas assez d’occasions, lorsqu’on travaille, de rencontrer des déficients visuels maîtres de chiens guides. Si on n’avait pas rencontré le futur maître d’Oasis on n’aurait peut-être jamais rencontré de personne déficiente visuelle. Cela n’a pas été gênant vis-à-vis de l’éducation d’Oasis, mais à titre personnel, c’est dommage. »
Gardez-vous ne tête une anecdote amusante ?
Etienne « Lorsque je suis en réunion au bureau, Oasis est parterre à côté de moi, ou sous la table. Ce n’est pas rare qu’elle s’endorme, et parfois elle rêve, et quand elle rêve, elle court, gémit, grogne… les non-initiés sont surpris et c’est assez drôle !
Une fois, j’avais une grosse réunion à Paris, avec « les grands chefs ». Nous étions les seuls à venir de province, donc je suis arrivé en avance, me suis installé dans la grande salle de réunion (nous allions être une quarantaine) et les gens venaient me saluer au fur et à mesure de leur arrivée. Lorsqu’ils découvraient la présence d’Oasis il y avait systématiquement un petit moment de surprise assez amusant. »
Y a-t-il, malgré tout, eu des moments difficiles ?
« Oui, pour nous le plus stressant a été la peur de la réforme, d’abord au moment du bilan vétérinaire à 7 mois, puis à 1 an. Le chien passe des examens pour s’assurer qu’il n’y a aucune inaptitude physique (cataracte, problème de hanche ou d’épaule…). Elle partait chez le véto, et quelques heures plus tard il y aurait un « feu vert » ou « feu rouge » et on n’y pouvait rien, si encore on avait fait quelque chose qu’il ne fallait pas, mais là, c’était absolument indépendant de nous et ça pouvait rendre toute notre implication inutile, en quelques minutes.
Contre toute attente, on a revécu ça juste avant le début de sa formation avec son futur maître : elle s’est blessée la veille… et il fallait attendre 3 semaines de repos pour savoir quelle serait la suite. On était fiers d’elle -et d’avoir pu y contribuer- elle était solide, ce n’était pas possible, et tout ça risquait de tomber à l’eau ?
Après, pour être honnête, il faut aussi dire qu’il y a eu, certains soirs vers 23h30 (oui, on se couche tard), le « c’est qui qui la sort ? ».
Mais sinon, concernant l’éducation en tant que telle, non… on savait que la « hotline Guillaume » était disponible. A aucun moment l’un de nous ne s’est dit « Comment je vais faire, je me sens perdu ».
Ce qui a été difficile aussi, c’est l’anticipation du départ, peut-être plus que le départ en soi. Quand Guillaume nous a dit, fin mai, qu’il y avait eu des essais avec une personne déficiente visuelle, on s’est dit : ça y est, dans moins de deux mois c’est fini. On pensait que, avec le confinement, ce ne serait pas avant septembre, on ne s’y attendait pas du tout.
C’était important pour nous de pouvoir rencontrer la personne qui allait avoir Oasis. J’espérais avoir un bon feeling avec elle, cela aurait été plus difficile de « lâcher mon chien à quelqu’un que je ne sens pas ».
Selon vous, quels sont les points essentiels à la réussite d’une telle aventure ?
« Avant tout, lorsque le chien arrive dans un couple ou une famille, cela doit être un projet de couple ou de famille. Il faut que ce soit une décision commune des personnes dans le foyer.
Ensuite, la rigueur. Ce n’est pas un chien « lambda » (sans que ce soit péjoratif), on doit faire les choses bien car ce n’est pas pour nous, mais c’est dans un but précis.
Il y a aussi la relation avec l’éducateur du chien. On aurait eu plus de mal si on ne s’était pas sentis « alignés » avec ses valeurs et sa manière de faire. Pour nous, avoir un bon feeling était un point important.
Enfin, il faut tout de même prévoir de la disponibilité et une souplesse dans son organisation personnelle et professionnelle pour gérer les apprentissages du chiot lors de ses premiers mois.
Et évidemment, il faut aimer les chiens ! »
Qu’aimeriez-vous dire à une famille qui s’apprête à se lancer dans cette aventure ?
Ça a été une super expérience, tout s’est bien passé et on en a retiré plein de choses.
C’est une vraie responsabilité, mais c’est aussi une « mission ».
Il faut être conscient des contraintes même s’il y a moins de contraintes qu’avec un chien ordinaire, sur l’accès dans les lieux publics, mais aussi parce qu’il y a avec l’école un cadre rassurant et qui peut prendre le relais en cas de soucis ou tout simplement si la famille a besoin de faire une pause quelques jours.
C’est clair qu’on ne vit pas la même chose avec un chien qui nous suit partout du fait de son statut de chien guide, qu’avec un chien « normal ». La relation est vraiment différente, plus intense. Lorsque j’ai fait pour mon travail, un aller-retour à Paris dans la journée, avec la chienne qui n’avait que 9 mois, avion, RER, métro, etc… et que tout s’est bien passé, j’étais à la fois fier d’elle et de moi, du travail que nous accomplissions avec elle. Tout le travail fait ensemble tisse des liens différents, une relation très forte.
C’est une belle finalité… »