Valérie Esteve, mon handicap je ne l’accepte pas, mais je fais avec
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Sa fiertéEtre épanouie dans ma vie de famille, avoir eu deux enfants.
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Peux- tu te présenter ?
Je suis née en Alsace où j’ai vécu jusqu’en 2007. A 1 an et demi, suite à une chute, j’ai eu un décollement de rétine et j’ai perdu un oeil. A huit ans, j’ai perdu la vue à l’autre œil. Très tôt j’ai eu des soucis d’élocution (dus à une fente palatine), mais aussi de l’arthrose et je n’entendais pas bien, et tout ça sans en connaître l’origine.
A 21 ans, j’ai pu obtenir gratuitement mon premier chien guide pour sécuriser mes déplacements. J’avais eu pendant quelques temps une canne blanche, mais je n’aimais pas ça. Je trouve que la canne nous isole encore plus des autres. Le chien guide est un vrai lien social. Aujourd’hui j’ai mon 4ème chien.
J’ai eu 2 enfants en 1995 et 1997, et on s’est aperçu que mes enfants avaient eux aussi des problèmes de vue et d’audition. En 1999, nous avons fait des tests génétiques et identifié l’origine de nos maux : le syndrome de Stickler (maladie génétique héréditaire) associée à la « séquence de Pierre Robin ».
Pourquoi le sport et plus particulièrement la natation ?
J’ai fait ma scolarité à Strasbourg, et commencé à faire du sport par le biais de l’école : athlétisme, tandem, et natation. J’ai toujours aimé le sport. De 12 à 16 ans j’ai eu le buste dans le plâtre et ai été obligée de porter un corset pour rectifier ma colonne vertébrale. Ajouté à cela mes douleurs articulaires et mon problème d’audition, le tout m'a obligée à me tourner définitivement vers la natation. Avec les bases acquises pendant ma scolarité, j'ai intégré un club en section compétition handisport, à l’âge de 20 ans et j’y suis restée 13 ans.
Ce que je regrette c’est que les centres sportifs ne nous mettent pas en situation de compétition plus tôt. J’ai l’impression d’avoir perdu du temps car attaquer la compétition à 20 ans c’est tard. Je me sens super bien dans l’eau, légère, mes douleurs sont allégées, les mouvements plus faciles à réaliser...
Quel est ton palmarès pour ces 13 ans de compétition ?
J’avais 4 entraînements de 1h30 chacun par semaine. Après l’échauffement je travaillais la technique, l’endurance, la distance et le chrono. A cela s’ajoutaient les séances de musculation, les rencontres inter associations, compétitions départementales et régionales et meetings internationaux. Je m’étais spécialisée dans le crawl et le dos. J’ai obtenu beaucoup de récompenses en commençant par les trophées de la ville. En effet la ville de Mulhouse récompensait ses sportifs qui étaient sélectionnés en équipe de France, et / ou ceux qui obtenaient des médailles d’or durant l’année. J’ai eu des médailles en 4 nages, 400 m libre et la médaille de bronze en championnat d’Europe en 100 m brasse. J’ai obtenu en 1990 la médaille de bronze lors des championnats de France et dans la même année l’argent et l’or. Les années suivantes j’ai battu plusieurs records. J’étais dans une équipe de 12 filles, handicaps moteur et visuel confondus.
Quel est ton plus beau souvenir ?
C’était en 1993, j’ai été sélectionnée en équipe de France pour participer au championnat d’Europe qui se déroulait à Rome (Italie). J’ai eu la médaille de bronze. J’étais très fière de ce résultat et cela a été très fort en émotion surtout quand toute les équipes se sont rendues sur la place St-Pierre pour assister à la bénédiction papale. L’équipe de France a été bénie par le pape Jean Paul II. C’est un moment que je n’oublierai pas, cela passe au-dessus de la religion.
Comment fait-on pour s’orienter dans les lignes quand on est mal voyante ?
Il y a plusieurs repères possibles. D’abord le mieux c’est de nager dans les lignes centrales, ce qui est valable pour tous les nageurs, car il y a moins d’effet de vagues que sur les lignes extérieures. Nos principaux repères sont les lignes à gauche et à droite, ensuite suivant l’acuité visuelle dont on dispose, on peut voir les lignes noires en fond de bassin. Enfin, lors des compétitions une personne tient une perche équipée d’une boule en mousse au bout, et elle nous tape sur la tête pour nous signifier l’approche du mur.
Le repérage dans une ligne d'eau se travaille lors des entraînements. Ce n’est pas toujours évident car on a souvent un bras plus puissant que l’autre et on a tendance à ne pas aller droit. Les lignes nous aident beaucoup, en quelque sorte elles nous « canalisent » ; sans elles il nous serait impossible de nager. Moi j’essayais d’avoir mon épaule près de la ligne.
Ce qu’il faut savoir c’est que dans les équipes « mal voyants » chacun voit de manière différente et donc, tout le monde ne perçoit pas la même chose. Moi j’arrivais à percevoir la lumière. Lors des compétitions on avait des scotchs noirs sur les lunettes pour que tout le monde soit au même niveau de handicap. Il y a 3 classements différents : non voyant, les très mal voyant, et ceux qui voient plus d’un vingtième. Le règlement prévoit que les plus handicapés sont dans les lignes du milieu. Chacun était classé selon sa propre catégorie, même si on concourrait dans le même bassin.
Pour la composition des équipes, dans l’épreuve du relais, le club prenait les 4 meilleurs filles quel que soit le handicap. Avec l’obligation d’incorporer des handicaps lourds, afin que les équipes soient équilibrées.
Je pense que si j’avais pu entrer en compétition plus tôt j’aurai été plus performante et peut-être aller au JO. Mais je suis très fière d’avoir été jusqu’au championnat d’Europe. J’ai arrêté la compétition en 2003, car j’étais enceinte.
Quel sport pratiques-tu maintenant ?
Après avoir fait, du surf, de la planche à voile, de l’accrobranche, c’est l’eau qui m’attire toujours. Depuis, je fais du Kayak de mer. Du K1, seule, ou K2 avec un guide. Je m’oriente, quand je suis seule, avec le ressenti de la chaleur du soleil sur ma peau, le vent. Avec le kayak, j’ai vraiment un sentiment de liberté. Il y a plusieurs niveaux, qui sont symbolisés par la couleur des pagaies. Pour ma part, j’ai des pagaies jaunes et je voudrais obtenir les vertes, ce qui me permettrait de faire des petites compétitions. Sur le K2 le guide est derrière moi et barre. En K1, j’ai un guide de chaque côté de mon kayak, dans leur propre bateau, ainsi je suis bien encadrée. C’est fatiguant pour eux de me guider, ce sont des bénévoles de l’association qui tiennent ce rôle.
Tes projets ?
Au niveau sportif je vais me lancer dans la pratique du Showdown, (ping-pong pour aveugles) et parallèlement j’aimerai être médiatrice auprès des personnes qui ont perdus la vue et leur montrer ce qu’il est possible de faire, pour leur donner l’envie de vivre et de se battre. Il y a beaucoup de choses qui peuvent nous bloquer dans la vie de tous les jours, mais il faut avancer quand même.
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