Florence Bara et Dannyelle Valente créent un livre tactile avec ses futurs lecteurs
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Florence Bara est maitre de conférences en psychologie - Laboratoire Cognition, Langues, Langage, Ergonomie (CLLE) – Université Toulouse Jean-Jaurès et enseigne à l’INSPE.
Dannyelle Valente est maitre de conférences en psychologie – Laboratoire Développement Individu Processus Handicap et Education (DIPHE) - Université Lumière Lyon 2 et chercheuse associée à l’Université de Genève.
Qui êtes-vous ? Que faites vous ?
Nous sommes enseignantes-chercheuses en psychologie. Nos projets de recherche portent sur l’élaboration et l’évaluation de livres multisensoriels à destination des enfants aveugles et voyants. Les livres multisensoriels sont des livres qui associent l’écriture (en braille et en noir) à des illustrations à toucher ou à écouter (pour en savoir plus voir les livres édités par Les Doigts Qui Rêvent : www.ldqr.org).
Avec chacune sa spécialité, Florence sur le toucher et son rôle dans les apprentissages et Dannyelle sur l’illustration tactile et design multisensoriel, nous travaillons toutes les deux à améliorer les illustrations dans les livres tactiles en passant par d’autres sens que la vue. Imaginons par exemple un arbre : comment l’illustrer dans un livre de façon à qu’il soit facilement reconnu par un enfant qui n’a jamais vu ? Notre objectif est de proposer des illustrations adaptées et des contenus vraiment pertinents du point de vue perceptif et cognitif.
Depuis 2015, Dannyelle met en place une méthodologie de design participatif de création des livres dans laquelle les enfants déficients visuels sont au cœur du processus. Partant du principe qu’il est difficile, voire impossible pour un voyant de se mettre à la place d’une personne aveugle, nous avons décidé d’inclure les utilisateurs des livres tactiles dans toutes les étapes de l’élaboration à la validation d’un livre tactile.
Nous avons récemment appliqué cette méthodologie de design participatif dans le projet Petits Explorateurs tactiles à l’initiative du Muséum de Toulouse en partenariat avec Les Doigts Qui Rêvent. Le but de ce projet était de créer un livre autour des sciences naturelles différent de ce qu’on trouve d’habitude, non pas un livre avec des images visuelles mises en relief mais un livre qui présente les objets de collection de façon multisensorielle. Nous avons mis en place des ateliers avec les professionnels et avec les enfants déficients visuels afin de les faire participer à tout le processus de conception du livre.
En quoi votre action favorise-t-elle l’inclusion ?
Pour nous éloigner de nos codes et nos automatismes de voyants, nous pensons que la rencontre avec les enfants déficients visuels est une étape essentielle pour créer des outils multisensoriels véritablement inclusifs.
Les livres multisensoriels issus de nos recherches et de nos projets de design participatif comme le projet « Petits Explorateurs Tactiles » (dont le livre final est en cours d’édition par Les Doigts Qui Rêvent) sont des livres avec un fort potentiel de partage car les expériences sensorielles que nous mettons en avant (toucher, son, expériences du corps en interaction avec les objets) sont les mêmes pour les enfants voyants et enfants aveugles. A titre d’exemple, nos dernières recherches ont montré que les simulations d’expériences du corps avec les objets (comme par exemple l’expérience du corps qui monte les escaliers que l’enfant peut mimer avec ses deux doigts qui marchent) augmentent la reconnaissance des illustrations dans le livre par l’enfant aveugle et les enfants voyants (Valente & Gentaz, 2019). Nous avons également montré que les illustrations tactiles pouvaient être touchées et comprises à la fois par les enfants voyants les yeux bandés et les enfants aveugles, faisant du livre multisensoriel un outil possible de partage et d’interaction (doctorat en cours de Carolane Mascale).
Quels sont les facteurs clés de succès selon vous ?
Selon nous, deux facteurs : Premièrement, il y a un renversement de point de vue sur la notion de handicap qui est au cœur de notre travail et qui, selon nous, lui confère une valeur importante: la cécité n’est pas vue comme un manque à combler mais comme un rapport différent au monde. Notre travail consiste à valoriser cette différence et de trouver des points en commun avec les voyants. Le deuxième facteur vient de l’approche méthodologique adoptée : La démarche de design participatif insérée dans le cadre méthodologique plus large de la recherche-action, témoigne d’un savoir qui émerge de la pratique et du contact avec des experts d’usage. C’est un type de recherche plus engagée et située dont la problématique elle-même émerge du terrain, du dialogue et du contact avec les enfants déficients visuels.
Pour aller plus loin :
Valente, D., Bara, F., Gentaz, E., Cabot, P. Donavy, C. Négrerie, S. (2020) Outils multisensoriels et handicap visuel : apports du design participatif. Revue Diversité Canopé, 197, janvier-avril 2020, 124-129.
Bara, F, Gentaz, E., & Valente, D. (2018). The Effect of Tactile Illustrations on Comprehension of Storybooks by Three Children with Visual Impairments: An Exploratory Study. Journal of Visual Impairment and Blindness.
Valente, D., Bara, F., & Gentaz, E. (2018). Un guide pour concevoir des livres multisensoriels accessibles à tous avec la méthode de design participatif, Genève : Laboratoire SMAS, Université de Genève. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02098388/document